dimanche 14 septembre 2008

profession: enseignante

"Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons." V. Hugo
Voilà deux semaines que l'année a commencé. C'est si peu et pourtant, un tas de choses s'est passé en si peu de temps. D'abord, mes gamins, c'est comme ça que je les appelle quand ils ne sont pas devant moi : mes gamins. Le gamin par excellence, celui que nous avons tous dans la tête, c'est Gavroche, le gamin de Paris que Delacroix a illustré et qui, plus tard, aura donné son nom à une forme de casquette. Quand Hugo a créé ce personnage tombé par terre, la faute à Voltaire, pensait-il qu'il avait dessiné un profil de jeunes gens à jamais? Des gosses un peu grandes gueules qui provoquent sans toujours le savoir...De grands enfants un peu adultes qui se soucient du lendemain mais qui vivent chaque instant à fond. Ils sont petits oiseaux, c'est la faute à Rousseau.
En ce moment, je dois leur faire passer les évaluations nationales. Je leur ai expliqué que c'est un questionnaire auquel tous les collégiens doivent répondre, que ça ne compterait pas dans leurs moyennes, qu'ils peuvent passer les questions qu'ils ne comprennent pas, que ça n'aurait aucune importance, ils ont malgré tout paniqué et s'en sont voulu de ne pas réussir partout. "Mais Madame!! C'est notre avenir!! C'est important!!"
Voilà, il y a les textes, il y a l'IUFM, il y a les programmes, les infos, les reportages les conseils et il y a la classe: cette réalité du terrain qui ne semble jamais coïncider avec ce que j'attendais. Quand j'arrive avec mon porte-vues rouge bien propre, plein de fiches tapées à l'ordinateur, je sais que sur 55 minutes, au moins 20 n'auront pas été prévues. Ils sont vivants ces élèves, ils sont sensibles, réactifs, présents et cet effet de surprise c'est ce qui s'appelle la vie d'une classe. Ils sont tous uniques, tous différents, alors parfois, une voix, ma voix, c'est bien maigre pour leur faire entendre tout ce que j'ai à leur dire...Parfois ils décrochent, ils rêvent, ils discutent, ils pensent à autre chose, ils sont malades...Et je dois continuer à avancer. Souvent, j'ai envie de faire sauter le système de sonnerie, histoire de les garder avec moi un peu plus longtemps, de leur raconter toutes mes petites histoires et d'écouter les leurs aussi. Mais j'ai une "mission" (terme employé par les grands de ce nom) à accomplir : je dois enseigner le français, la lecture, l'écriture, la grammaire et tout ça...

samedi 6 septembre 2008

premières impressions...

Ils sont 24, 13 filles, 11 garçons, ils ont 11 ou 12 ans, ils ont débarqué pour la plupart d'entre eux comme moi dans ce nouvel établissement et la rencontre fut intense pour eux comme pour moi. Première rencontre dans leur classe. Ils étaient avec leur professeur principal (P.P. dans le langage profs'), ils notaient l'emploi du temps, ils en étaient à la phase compliquée des semaines A ou B et moi je suis entrée pour me présenter comme on me l'avait demandé. Cinq minutes environ pour leur donner mon nom, pour essayer de repérer leurs visages et leur dire que nous allions passer une année que j'espérais bonne. Mon regard s'est automatiquement porté sur une belle jeune fille presque aussi grande que moi. Dès cet instant, j'ai su qu'elle était doublante: contrairement aux autres, elle n'avait pas l'air stressé, elle avait même plutôt des yeux qui me disaient d'aller me faire voir, mon discours, elle l'avait déjà entendu et elle s'en foutait. Plus tard, j'ai appris son nom et ses difficultés cognitives...
Je les ai retrouvés au self. Assise entre leur prof' principale et un groupe de petits mecs avec des baskets flambant neuves, j'ai commencé à apprendre leurs visages et leurs noms. J'ai aussi commencé à répondre à des questions...Des gestes tout nouveaux que j'ai adoré découvrir!
Jeudi, première heure en classe. Je suis allée les chercher dans la cour, juste après la récré...Les escaliers, le rang devant la porte, l'entrée en classe, ils s'assoient. Première règle : "Je suis ravie de voir que vous êtes déjà très à l'aise mais je ne me souviens pas vous avoir demandé de vous asseoir..." La première fois que j'ai vu cette technique, elle m'a semblé un peu militaire mais finalement, comme je leur ai expliqué, c'est la seule façon (que j'ai trouvée) pour les calmer dès les premières minutes. "Asseyez-vous". Je me représente, ils se souvenaient de moi, je fais l'appel. Je n'ai presque pas écorché leurs noms (petite victoire) et déjà, j'apprends leurs prénoms. Mais, ce n'est pas suffisant...Préparation du chevalet, ou cavalier (que certains auront compressé au cours suivant en Chevalier), et ce ne fut pas une mince affaire! Déjà un quart d'heure de passé!! Deuxième moment, remplissage de la fiche de présentation. 30 bonnes minutes pour répondre à ces petites questions...(Cette année, il va falloir que j'apprenne à ralentir...) La plupart d'entre eux est effrayée par l'orthographe. Un de mes élèves m'a même dit qu'il voulait faire de la grammaire car il se trouve nul en français. "Non, tu n'es pas nul. Est-ce que quelqu'un peut me dire ce que veut dire être nul?" Ma belle doublante lève aussitôt la main: "C'est quand on a de mauvaises notes, qu'on ne sait pas faire les choses et qu'on déçoit sa famille." Premier pincement au coeur. Derrière sa réponse, il y avait un semblant de "nulle, c'est moi". Ne pas rester bouche bée, rebondir : "Ca c'est ce que vous croyez, mais le nul, c'est ce qui n'a pas de valeur, nul, c'est rien! et vous n'êtes pas rien, vous avez de la valeur et même en français, la preuve, c'est que vous le parlez tous les jours!" Fiches enfin remplies, je peux leur offrir un cadeau que je leur prévoyais depuis quelques jours : lire à haute voix le début d'un roman racontant l'histoire d'un garçon nouveau dans un collège...Succès!! Ils ont été attentifs! A fond! Ils ont pu raconter le début à celle qui était sortie pour aller aux toilettes!(toujours ma doublante) et le lendemain, première question: "Est-ce qu'on va continuer le livre d'hier?" Malheureusement, nous n'en avons pas eu le temps...Ils le savent, si tout se passe bien, ils auront la suite de l'histoire! (Avant de me quitter, une est venue me voir pour me dire que j'avais de la chance d'être belle et fine...franche la petite!!!)
Le vendredi, séance de deux heures, dans une salle qui devait atteindre les 30 degrés sans le moindre brin de vent! Un peu d'étymologie latine (merci M. Dousset et Mme David), de la lecture, de l'écriture mais toujours dans le jeu. C'est une classe vivante (parfois un peu trop) et je sais qu'à toutes mes questions, j'aurai des dizaines de mains levées! A la fin, je connais leurs prénoms à tous, j'ai repéré les élèves qui avancent très vite, un peu moins, les bavard(e)s, les sages, les bébés, les matures...Ils sont géniaux! Naturels! Volontaires! Pour un premier groupe, j'ai de la chance. Ils ont tous lu cet été, ils veulent tous progresser en langue, ils veulent tous des livres de grands...Bien sûr, je n'aurai pas le temps de faire tout ce que le programme et l'IUFM attendent de moi mais ce n'est pas grave. Je préfère faire moins et bien que l'inverse. Pour l'instant, ils sont plus CM2 que 6ème, je dois m'adapter à la réalité de cette classe que j'adore! En salle de profs, je me sens encore mal à l'aise mais dès que je les vois en rang, dès que je ferme la porte de ma classe, c'est fini, je suis bien, détendue, je parle fort (ils me filent même leur accent du sud), je les regarde droit dans les yeux comme si je les connaissais depuis toujours et eux aussi ont l'air bien. Ils rient, ils parlent sans complexe, ils me font même un peu de lèche, c'est drôle, c'est du bonheur en salle de classe!!Un parcours que je ne regrette pas, j'avais raison, ma place est à l'école, le tableau dans le dos, mes élèves face à moi, à leur écoute, à leur regard. J'ai hâte de les retrouver, ils seront mon plaisir cette année. Sous le stress de la validation, je vais avoir besoin d'eux...